Section Études littéraires
BEN GHEDAHEM Zeineb
École Polytechnique de Tunis
L’entrecroisement entre fiction et histoire :
Vers une littérature du témoignage
En réaction à la violence de masse qui a caractérisé le XX° siècle, une nouvelle « littérature » a vu le jour : « la littérature de témoignage » qui aspire au statut de nouveau genre littéraire. Cette écriture de témoignage de la violence extrême ou « l’écriture de l’après » nous permet de prendre conscience de la capacité du langage à réagencer le monde après le désastre. Concernant les textes testimoniaux, Frédérik Detue et Charlotte Lacoste considèrent que le témoignage constitue bien un « art d’écrire », qui « renouvelle tant les notions d’auteur que de création, et redéfinit les formes de l’ “engagement” en littérature ». Quelles sont les spécificités des textes testimoniaux ? Les romanciers privilégient-t-ils le témoignage ou la fiction ? Comment le texte traduit-il l’oralité du témoignage ? Quels procédés littéraires sont utilisés pour former une littérature du parler issue d’un contexte réel ? Nous tenterons de répondre à ces interrogations à travers l’étude de trois romans de la romancière rwandaise Scholastique Mukasonga (Prix Renaudot 2012). La densité et la variété de son œuvre ouvrent la voie à différentes méthodes. Notre objectif est d’exploiter des concepts et des approches a priori différents dans un but intégratif : l’appréhension d’un objet d’étude particulièrement complexe et riche en facettes. Cette approche intégrative se nourrit de disciplines différentes, tout en accordant une place considérable à l’apport de la sémio-linguistique, à la rhétorique qu’à la stylistique. Au cours de cette rencontre, nous relèverons les particularités de ce qu’on pourrait appeler « un régime d’écriture du témoignage » qui traverse différents genres et qui, précisément, déborde les frontières génériques. Nous analyserons ce mouvement de reprise intertextuelle et de dépassement qui caractérise l’œuvre transgénérique et hybride de Mukasanga. Nous nous attacherons, également, à mettre en exergue la polysémie des discours ainsi que la littérarisation de témoignages oraux.
Mots-clés : contextualisation, témoignage, discours, littérature
BEN SAAD Nizar
Université de Sousse, Tunisie
La Virtù, une énergie morale et citoyenne
À propos du concept de virtù, l’on s’appliquera à démontrer l’apport incontestable de Machiavel et sa place relative dans l’histoire des idées. L’auteur du Prince a contribué, d’un point de vue épistémologique, à l’étendue et à la vitalité de ce champ notionnel. Le terme a évolué au cours de l’Histoire et l’on peut s’en rendre compte en relisant la définition du terme dans l’Encyclopédie de Diderot. Le conatus de Spinoza est directement inspiré de la virtù de Machiavel. Au XVIIIe siècle, des écrivains politiques comme Montesquieu et Rousseau associent la virtù à l’énergie citoyenne. Ce concept est d’autant plus opératoire lorsqu’il s’agit de désacraliser l’autorité de l’Eglise catholique, et la vertu chrétienne considérée comme efféminée. La vertu tient une place privilégiée dans la perception genrée de la sensibilité des hommes et des femmes au XVIIIe siècle, étroitement liée à la sentimentalité, aux égarements du cœur, aux larmes, aux soupirs qui s’étalent dans un grand nombre de romans, particulièrement chez des auteures femmes comme Mme de Tencin ou Mme de Riccoboni. La virtù « machiavelienne » s’oppose également à la vertu des moralistes, trop préoccupés de droiture, de sagesse et d’honneur. A la fin du siècle, le libertinage triomphe avec le marquis de Sade qui se montre résolu à tout examiner, à tout remuer, pour que le vice triomphe et que la vertu soit à jamais persécutée, en témoignent les histoires de Justine et de sa sœur Juliette. La vertu se définit chez Marx comme une praxis, incontournable dans l’accélération du processus historique.
Mots-clés : Virtù, énergie, volonté, progrès
ĆURKO Daniela
Université de Zadar
L’identité, la mémoire et le trauma dans L’amour,
la fantasia et dans Nulle part dans la maison de mon père d’Assia Djebar
L’intervention étudie le rôle du trauma et de son lien avec l’identité et la mémoire dans les deux œuvres citées de Djebar. Nous étudierons d’abord la fonction constituante du trauma dans l’identité nationale dans le premier roman, puisque pour Djebar, son identité culturelle englobe et conditionne son identité personnelle de femme, de l’amante et de l’écrivain, et la partie essentielle de l’identité nationale est la grande blessure de la colonisation française, qui commence par la prise de la ville et du port d’Alger en 1830, narrée au moyen de la métaphore filée du viol. Dans son autobiographie Nulle part dans la maison de mon père, Djebar insiste sur l’importance du trauma personnel sur la genèse de son œuvre littéraire, exprimant l’idée que toute son œuvre littéraire ayant précédé l’écriture de l’autobiographie était une tentative de s’expliquer à soi-même un événement pourtant jamais thématisé comme sujet de ses œuvres – sa tentative de suicide, faite vers la fin de son adolescence. La narratrice, double de Djebar, essaie de comprendre les raisons de ce silence pourtant si fécond en paroles, de si mutisme qui, d’après elle, serait à l’origine de son métier et donc de son identité de l’écrivaine. Ainsi, pose-t-elle la question de l’enchevêtrement de la mémoire, de l’oubli – en tant que refoulement freudien-, de la sublimation et de l’identité personnelle. Elle se demande aussi si son identité de l’écrivain ne serait paradoxalement due à l’acculturation (cf. les travaux du sociologue Hervé Marchal), vu le tabou de l’écriture du soi dans la culture arabe.
Mots-clés : Assia Djebar, identité, mémoire, oubli, l’interdit, sublimation, l’acculturation
IFTIMIA Corina
Universitatea Stefan cel Mare Suceava, Roumanie
Les manifestations du bovarysme chez Frédéric Moreau
Au milieu des « affres de l’écrivain » Flaubert était certainement loin de s’imaginer que sa « petite femme » Bovary allait engendrer un concept utilisé par la critique littéraire, mais pas seulement. Partant de l’excellente synthèse que font Yvan Leclerc et Nicole Terrien de la notion de bovarysme dans l’Histoire, nous envisageons de l’étendre au « héros » de L’Éducation sentimentale, Frédéric Moreau, que nous considérons comme la réplique masculine du personnage d’Emma. Emma et Frédéric se ressemblent au-delà de leur différence de sexe, d’autant plus que l’analyse littéraire, partant de l’hypothétique affirmation de Flaubert « Madame Bovary, c’est moi », identifie dans le texte des marques de la virilisation du personnage féminin et, inversement, une féminisation des personnages masculins (Léon, Charles). D’abord, nous allons faire le point de la notion de bovarysme, les sens qu’elle recouvre et ses emplois dans la littérature. Ensuite, nous allons proposer l’analyse du discours flaubertien sur un corpus constitué de deux extraits tirés l’un du roman Mme Bovary, l’autre de L’Éducation sentimentale, en ciblant sur les manifestations concrètes de cette disposition de l’esprit des deux personnages. Enfin, nous essaierons de voir si vraiment ce qui est considéré par les spécialistes comme un trait spécifiquement féminin vaut aussi pour un homme, tout en excédant de loin le caractère purement fictionnel.
Mots-clés : bovarysme, rêverie, mimesis