ALONSO
SUTIL Maria Cruz (Université Rey Juan Carlos,
Madrid)
L'entre-deux
d'une identité
En
considérant l’espace du point de vue anthropologique, le lieu nous donne une
vision de l’identité des gens qui l’habitent, des relations qu’ils entretiennent
et des expériences qu’ils vivent et qui constituent leur histoire. A
partir du voyage comme un élément structurel nous essayerons d'analyser dans
l’œuvre de Jean Échenoz à quel point ce trajet pourrait bouleverser
le « je », car le voyage n’est pas seulement conçu comme un déplacement, mais
aussi comme le catalyseur des changements que celui-ci produit chez l'individu
à partir de sa manière de faire front au nouveau, à
l'Autre.
Nous
tâcherons de signaler l’importance du signifié anthropologique qu'acquiert
l’espace pour les protagonistes tout au long de leur parcours, ainsi que le
niveau d’accueil que présentent les personnages, les aspects qui déterminent
leur structure et la dynamique actantielle, leurs expériences et l'échange
possible des différentes altérités.
Le
désir d'échapper du vide, de la solitude, de ce qui pourrait être
désagréable, car l'aventure termine lorsque l’on termine le voyage, nous
mène à réfléchir aux forces extérieures qui pourraient exercer
une telle pression sur l’individu qui l'emmène à continuer son
errance dont la résidence permanente est si longue qu’elle devient parfois un
labyrinthe.
Opposé
à l’idée de lieux anthropologiques il existe celle des
« non-lieux », c'est-à-dire les espaces avec lesquels
l’individu ne s’identifie pas et n'établit même pas de rapports ; ce
sont des lieux sans histoire pour la personne, des espaces d’anonymat de plus
en plus fréquents dans la société actuelle. Il
faudrait donc, déterminer si un espace peut être identifié au lieu ou « non-lieu »
en fonction des liens et des rapports que l’on y a pu établir, mais il est
sûr que, au moins, ils sont essentiels pour l’individu.
BEN
SAAD Nizar (Université de Sousse, Tunisie)
Le
concept du climat chez les philosophes des Lumières
Depuis
l’Antiquité, l’étiologie climatique sert de commun dénominateur à la
caractérologie des peuples, sous le rapport du tempérament, des habitudes, des
aptitudes intellectuelles. La question éclate dans la littérature française
dès le XVIe siècle, avec Jean Bodin. Elle se déclinera
régulièrement surtout dès le milieu du siècle des
Lumières.
Comprise
et analysée dans une perspective « scientifique », la « théorie
des climats », sera, dès lors, l’assise expérimentale de l’examen
des facteurs physiques qui déterminent l’organisation politique des Etats. Selon
un schéma classique, la chaleur favorise la paresse et le despotisme, le froid,
l’indépendance. Les chasseurs sont abrutis et sanguinaires, les peuples
pasteurs se distinguent par leur douceur. Les montagnards diffèrent des
gens des plaines.
La
plupart des penseurs des Lumières, de l’Abbé Du Bos à Volney, en
passant par Montesquieu, Boulanger, Helvétius ou Buffon, étendent l’influence
du climat et évalueront l’impact du déterminisme climatique sur l’ensemble des
institutions humaines (religieuses, juridiques et politiques). La question ne
sera pas sans effet sur la notion d’altérité et, au-delà, l’affirmation
des valeurs universelles que diffusera la langue française, et la
représentation qu’auront les philosophes des relations entre le Nord et le Sud.
BENGUESMIA Mahdia (Université
de Batna – Algérie)
L'espace comme produit modulable dans L'Exil et le royaume d'Albert Camus
Sous
ce titre, je viendrai montrer que le motif de l’espace chez Camus n’est pas
géographique, mais affectif, et à un degré plus linguistique.
Passionnément
fasciné par la nature de sa terre natale qu’il éternisera très jeune
dans Noces et Eté, mais très tôt aussi affligé par sa
prise de conscience de l’illégitimité de son appartenance à cette terre
vénérée, Camus va d’abord élire domicile dans son écriture, puis faire de
l’espace algérien un espace transportable, manipulable et diversement
connotatif ; mais d’une connotation plus spécifique à la langue de
cœur qu’il crée dans cette intention qu’à la matière
géologique qui compose cet espace.
Entre
des lieux éloquents et d’autres muets - et muet n’est pas forcément dans son
œuvre « ce qui ne dit pas » ou ce qui d’habitude est
climatiquement négatif - Camus vient, dans les six nouvelles que nous proposons
d’étudier ici, convertir le lieu géologiquement pierreux, sablonneux ou
désertique - ces termes sont là de véritables nuances ou des degrés du
désert que l’écrivain module précautionneusement et significativement – (L’hôte, La femme adultère et Le renégat) ou celui vaguement
expressif (Les muets, Jonas ou l’artiste au travail et La
pierre qui pousse) en un lieu exemplaire de l’âme que l’esprit approuve et
le cœur applaudit ou en espace hostile à l’entendement, et
là il sera plus question d’espace manipulé sournoisement par l’homme ou
d’espace sournois dans l’homme échangé contre celui véridiquement naturel.
COJAN
Otilia-Carmen (Université
Alexandru Ioan Cuza, Faculté de Lettres, Iaşi)
L'espace chessexien – un dedans mythique qui se renferme
en lui-même
On
se situe en Suisse Romande, au Pays de Vaud. Jacques Chessex choisit de faire
découvrir à tous ceux qui s’abandonnent à la lecture, une contrée
de légende qui semble vivre pleinement dans un éternel moment de rêverie. Son Portrait des Vaudois regroupe sous la forme de quelques essais des
visions concernant un endroit privilégié, qui se déploie dès les
premières pages comme un espace clos sur lui-même, tirant son
unicité de ses trésors cachés mais surtout de la façon dont il comprend
préserver ces trésors-là. L’espace crée à l’intérieur de la
narration chessexienne se détache de l’espace réel, abolit le temps humain et
s’environne d’étendues mythiques. Il ne s’agit plus d’une spatialité physique,
mais d’une spatialité créée par Chessex à l’intérieur de son écriture,
une spatialité qui vit par elle-même, en dehors de la durée humaine.
C’est un espace qui se forge une autre dimension que celle unanimement acceptée
(étendue située entre des limites exactes), c’est plutôt un espace hors espace,
une spatialité mise en abyme à l’intention de créer un lieu situé
au-delà des confins du palpable, aux tréfonds de l’imaginaire créateur.
L’espace chessexien de Portrait des vaudois est un dedans mythique qui
se renferme sur lui-même afin de préserver son unicité en tant qu’univers
littéraire.
ĆURKO Daniela (Université de Zagreb, Faculté des sciences humaines et sociales,
Département d'Études romanes)
Fenêtre, espace de communication,
espace d'excommunication dans Noé,
Les Âmes fortes, Ennemonde et
L'Iris de Suse de Jean Giono
La fenêtre est un topos descriptif qui réapparaît dans Noé, Les Âmes fortes, Ennemonde et L'Iris de Suse de Jean Giono. Une telle récurrence pose la question du sens qu'y prend le topos.
Dans notre étude, nous nous référons surtout à l'analyse de Philippe Hamon dans Du Descriptif et arrivons à la conclusion suivante : dans Noé et Ennemonde, la fenêtre représente ce lieu intermédiaire instaurant la communication entre l'espace clos et l'espace ouvert de la montagne. Nous y remarquons deux cas de figures. Dans Noé, les deux espaces se ressemblent et se correspondent – l'étude obscure du notaire à S., lieu où se trament des complots mettant en jeu les destinées humaines, a son reflet dans la montagne « très âpre, très nue, sans pitié » (Noé, III, p. 669).
La fenêtre dans Ennemonde opère, elle aussi, non seulement la jonction entre le dehors et le dedans, mais permet de faire venir le monde extérieur à Ennemonde. Ainsi, la fenêtre compense par ce mouvement paradoxal l'immobilité de la vieille héroïne paralytique, en incluant le personnage dans les grands espaces ouverts auxquels Ennemonde appartient de par sa nature, étant une femme «bandit de grand chemin ».
Par contre, dans Les Âmes fortes et dans L'Iris de Suse, la fenêtre est ce seuil qui fonctionne comme un obstacle, excluant Thérèse et Tringlot, héros des romans respectifs, de l'espace clos où ils désirent avoir accès. La fenêtre est ici la métaphore de l'excommunication des deux personnages également marginaux.