Jacques Cortès
(professeur émérite, Université de Rouen, Université de Franche-Comté à Besançon)
Francis Yaiche
(maître de conférences, Université de Paris IV Sorbonne)
"Pour une défense pacifique mais ferme de la diversité linguistique et culturelle mondiale"
Il y a quelques mois (octobre 2009), un éminent universitaire anglais, Christie Davies, diplômé de Cambridge et Professeur émérite de l'Université de Reading, a publié sur Google un texte dont l'introduction est la suivante: " La prééminence du français est une anomalie disgracieuse honteuse. Nous devons travailler à supprimer cette langue aristocratique et obsolète, sinon nous ne parviendrons pas au rêve de créer les Etats-Unis d'Europe". La qualité du pamphlétaire n'autorise pas de prendre son propos à la légère. Sans ouvrir un nouveau chapitre de la guerre des langues et des cultures, il convient toutefois, et très sereinement, de s'interroger sur une tendance de plus en plus banalement universelle à prôner la nécessité de ne parler qu'anglais dans toutes les instances où l'on débat de choses sérieuses et à réserver les langues maternelles autres que l'anglais, pour la veillée des chaumières. Beaucoup s'accommodent volontiers de cette situation qu'ils trouvent d'autant plus sage et pratique que même un de nos ministres est allé jusqu'à dire très sérieusement: "l'anglais est l'avenir de la francophonie". Le monolinguisme universel est un traquenard politico-économique prônant une communication minimaliste strictement véhiculaire. Dans une négociation, la langue que l'on emploie ne saurait être réduite à un code rigide. Négocier c'est produire du sens de façon souple, fluide et nuancée. Pour cela, il faut bien maîtriser son verbe et ses arguments. Il a été prouvé expérimentalement que celui qui croit connaître parfaitement l'anglais perd, en fait, 25% de l'information lue ou entendue dans cette langue par rapport à celui qui reçoit cette information dans sa langue maternelle. Plutôt que de prôner le monolinguisme universel, si l'on prenait enfin conscience de l'importance de maintenir, en bon état de marche, la diversité linguistique planétaire qui n'est pas une maladie ou un fardeau écrasant, mais un patrimoine d'une richesse infinie qu'on ne saurait gommer pour contenter ceux qui pratiquent le culte du veau d'or et du mépris d'autrui.
Nenad Ivić (professeur titulaire, Université de Zagreb)
"Les monstres disloqués ou l'oreille théorique"
Julio Murillo Puyal (professeur émérite, Universitat Autònoma de Barcelona)
"Espace géographique ou espace culturel : l'espace roman et l'enseignement du Français Langue Étrangere ; quel est l'enjeu ?"
Un ancien Ministre français de l’Éducation proclamait : « L’anglais ne doit pas être en France une langue étrangère ». Cet homme politique est aussi un physicien de renom. Sa déclaration n’en est que plus significative, car il ne s’agit pas d’une boutade : cette prise de position révèle et manifeste une conception réductrice de la nature des langues et de leur rôle présenté comme « simple » échange d’informations. Il s’ensuivrait que l’option la plus efficiente et de moindre coût pour assurer les relations internationales sur la planète entière et pour permettre l’accès direct et rapide aux sources du savoir et aux recherches les plus récentes, serait de « passer au tout anglais ».
Au vrai, c’est le principe d’instrumentalisation de la langue au service de la prépondérance politique d’une puissance qui, de fait, serait appliqué (principe formulé par Nebrija -- dont la Gramática de la lengua castellana est la première grammaire d’une langue romane -- selon qui la langue est « compañera del Imperio »). A moyen terme, le verdict de l’histoire est sans appel, la langue « compagne de l’Empire » écrase les langues autochtones, et contribue à façonner la « pensée unique ».
Face à cette conception monolingue impérialiste, l’Union Européenne recommande une formation plurilingue, non pas contre l’enseignement/apprentissage de l’anglais, mais parce que communiquer c’est d’abord être ensemble, être en communion entre êtres communiquant (Guberina). Dès lors l’affectivité et les référents culturels ne peuvent être ignorés.
Dans cette perspective, « l’espace roman » prend toute sa valeur comme espace culture partagé et d’intercompréhension exolingue spontanée entre personnes de langues romanes.
Cette spécificité de l’espace roman peut (doit ?) être un atout capital pour l’enseignement-apprentissage du Français Langue Étrangère. A la fois pour en définir les approches pédagogiques et en mesurer la portée et les objectifs.
Raymond Renard (professeur émérite, Université de Mons-Hainaut)
"Langues : changement de paradigme ?"
L’histoire est réputée s’accélérer, entraînant une révision de notre système de perception du monde et des choses, des systèmes de représentations, de valeurs, de normes.
Nombre de philosophes ou de sociologues annoncent des changements de paradigme.
Il est donc opportun de se pencher sur la perte de légitimité qui semble affecter certains secteurs de la linguistique, où il n’est pas malaisé d’observer le renversement d’une certaine logique, d’un certain modèle de référence ou de penser.
Qui plus est, certains philosophes n’hésitent pas à suggérer que, finalement, nous entrons dans l’ère de la problématisation et qu’il importe davantage de prendre l’interrogativité sous son aspect positif, qui serait d’ailleurs plus conforme à la nature même de la pensée.
Sans entrer dans des considérations d’ordre épistémologique ou philosophique, ni dans une typologie des paradigmes à la mode des sociologues, – qui distinguent paradigmes conceptuels, analogiques ou formels, – on se limitera à envisager deux cas particuliers de la discipline qui nous réunit et dont les discours semblent illustrer cette modification profonde, d’ordre méta-théorique, dans la manière de considérer les choses, sur le plan de la Francophonie.
La première concerne l’écologie des langues, qui interpelle les défenseurs du français, très singulièrement dans la perspective des valeurs qu’il est censé porter.
La seconde porte sur la didactique des langues, qui, dans la perspective de la substitution d’une logique de plurilinguisme à celle, néocoloniale, de l’unilinguisme, a amené l’Organisation Internationale de la Francophonie à substituer le partenariat à l’apartheid linguistique.
Comment, dans un tel contexte, ne pas rappeler la contribution pionnière – pour ne pas dire prémonitoire – de l’Université de Zagreb ?
Olivier Soutet (professeur titulaire, Université de Paris IV Sorbonne)
"Psychomécanique du langage et représentation spatiale du système verbal français: apports et limites"
Cette contribution confronte les deux représentations concurrentes du système verbal français, l'une monotensive, l'autre bitensive. Après en avoir dégagé les apports et les limites respectifs, elle pose la question de savoir si ces représentations sont ou non en mesure de rendre compte d'une vision non seulement du temps linéaire mais aussi du temps ramifié.
Dražen Varga (professeur, Université de Zagreb)
"Place du français dans l'espace roman"
La communication devrait comprendre un contact et un échange. Pourtant, le phénomène qui nous intéresse ici a, pour ainsi dire, un signe moins : l’expansion du latin dans un espace vaste avait justement rendu la communication difficile, voire impossible, ce qui avait provoqué graduellement une diversification, plus ou moins importante, des idiomes issus du latin. Une comparaison, soit descriptive soit quantifiée, des structures linguistiques actuelles de ses idiomes, à savoir du français avec le reste de la Romania, peut néanmoins nous révéler certains phénomènes intéressants qui auraient autrement resté peut-être inaperçus et nous aider ainsi à mieux connaître la langue sous étude.
Francontraste 2010