Section Études littéraires

 

Moricheau-Airaud Bérengère,
Centre de Recherche en Poétique, Histoire, Littéraire, Linguistique – CRPHL, France

« L’hétérogénéité du sens dans la parodie proustienne des journaux de guerre »

Le goût de Proust pour l’imitation, souvent souligné dans les écrits biographiques de ses contemporains, se note aussi dans ses textes, dans ses Pastiches et mélanges, pour lesquels le titre fait apparaître son travail de reprise, et encore dans À la recherche du temps perdu, où l’hétérogénéité de l’intertextualité joue un rôle qu’Annick Bouillaguet a déjà étudié à travers son analyse de l’écriture imitative du Journal des Goncourt dans Le Temps retrouvé. La presse en temps de guerre est une autre forme de journal parodiée dans ce volume. Les traits journalistiques que s’approprie alors l’écriture proustienne sont subvertis par l’ironie du narrateur qui prend pour cible l’indifférence de l’arrière pour les combats livrés au front. Or ce détournement des propriétés stylistiques de l’article de presse repose sur la collision de diverses configurations de représentation de discours autre, notamment discours direct, discours indirect, modalisation autonymique, et sur l’interventionnisme du narrateur représentant dans la partie en mention de ces discours. Le heurt de ces dispositifs discursifs, ceux des configurations de représentation de discours autre, ceux des discours représentant et représenté, ceux du journal et de son imitation littéraire, entraînent un feuilletage énonciatif et, partant, une hétérogénéité du sens propre à faire entendre un sens sous un autre : l’ironie du narrateur. Nous proposons ainsi d’étudier comment, dans la manière dont l’écriture du Temps retrouvé imite la presse en temps de guerre, des télescopages de structures énonciatives de représentation de discours autre participent de la subversion de la forme journalistique en discours ironique.

 

Radeljković Ivan,
Université de Sarajevo, Bosnie-Herzégovine

« Structure de l’image poétique selon Pierre Reverdy et celle du discours métaphorique de Paul Ricœur »

Pierre Reverdy est connu pour sa poésie à la fois minimaliste et intensément expressive, aussi bien que pour ses conceptions théoriques, notamment celle d’un « lyrisme de la réalité » et puis celle, fameuse, de l’image poétique (« L’Image », revue NORD-SUD, 1918), laquelle a influencé André Breton dans son Manifeste du Surréalisme. Le « lyrisme de la réalité » de Reverdy se revendique paradoxalement d’un refus de l’ « imitation de la réalité » commun à l’ensemble des tendances modernistes de l’époque. Quant à sa conception de l’image poétique, il y va de la structure même du langage poétique moderne, ce qui apparaît nettement quand on l’élucide par la théorie du discours métaphorique de la poésie et celle de la métaphore vive du philosophe Paul Ricœur. Les similarités entre ces deux conceptions sont frappantes, et ouvrent tout une série de questions concernant l’esthétique et la poétique autant qu’une théorie du langage poétique moderne. Il s’agit d’abord de la question de la mimèsis, abordée également d’une manière remarquable par Ricœur dans Temps et récit, autant que de l’idée de la poésie en tant qu’invention linguistique par « la métaphore vive ». Celle-ci apparaît alors comme une (ré)structuration permanente de la langue par le discours poétique. Cependant, cette invention ne concerne pas seulement la langue, mais aussi les aspects nouveaux et changeants de « la réalité » exprimés par ces « rapports inédits ».

 

Subotić Goran,
Université d’Orléans, France

« Fou à lier ? Problème du trouble intérieur dans les Mémoires du XVIIe siècle »

Cette contribution se propose d’étudier la mise en valeur de l’intériorité dans les Mémoires français du XVIIe siècle, notamment chez Brienne le jeune et Henri de Campion. Notre propos s’appuiera a priori sur deux axes de réflexion. D’une part notre démarche envisagera les Mémoires en rapport avec la croissance d’intérêt pour l’intériorité humaine qui s’est opérée au XVIIe siècle – l’intérieur de l’homme prend place d’un lieu privilégié de la connaissance sur soi, « être intérieur » devient un impératif spirituel et culturel, l’expérience intérieure écrite devient lisible (Paige 2001), etc. Nous nous appuierons, somme toute, sur la dichotomie foucaldienne le souci de soi/l’herméneutique du sujet pour interroger la stratégie scripturale des mémorialistes vis-à-vis de leur expérience intérieure. D’autre part, nous chercherons à comprendre le paradoxe que le genre des Mémoires du XVIIe siècle présente pour un lecteur moderne. Les Mémoires, à savoir les textes qui sont au XVIIe siècle au cœur de la production historiographique, écrits certes à la première personne mais qui saisissent le moi dans sa dimension publique, voire dans sa « condition historique » (Jeannelle 2008), élaborent tout de même une écriture de l’expérience intérieure du mémorialiste (deuil, mélancolie, délabrement moral, etc.). En s’appuyant sur les textes de deux auteurs peu connus, Brienne le jeune et Henri de Campion – les deux ont vu leur vie privée, et même intime, ravagée dans un espace public – nous chercherons à étudier comment cette intériorité est-elle exprimée, ou mieux – communiquée au lecteur.

 

Vrančić Frano,
Université de Zadar, Croatie

« La structure du discours césairien dans Cahiers dʼun retour au pays natal »

Cette communication se propose de décortiquer la structure du discours négritudien dans l’œuvre fondatrice césairienne, à savoir « Cahier d’un retour au pays natal ».

Sont d’abord observées la naissance du mouvement politico-littéraire de la négritude, les sources du « Cahier » ainsi que la genèse du poème en Croatie méridionale où « Mandela des Caraïbes » séjournait chez son ami Petar « Pierrot » Guberina.

Dans un deuxième temps, nous essayons d’analyser le discours césairien en nous appuyant sur des ouvrages des césairistes de renom comme Fonkoua, Kasteloot ou bien Guberina qui au demeurant a signé la préface de l’édition définitive du « Cahier » chez « Présence africaine » en 1956.

En effet, le poème ayant introduit le concept de négritude est l’un des plus importants ouvrages des lettres francophones. Pareillement, l’œuvre césairienne est née de la colère et de l’indignation. Celle d’un jeune étudiant martiniquais dans le Paris des années 1930, face au racisme blanc. Césaire considérait alors que l’homme de couleur était victime d’une acculturation qui anéantissait son être fondamental et la négritude qu’il développa à cette époque exprimait la résistance à la politique de l’assimilation. Or, quelle que soit la virulence du Cahier, Césaire n’a jamais sombré dans le racisme noir. Si la rédaction des premières pages du « Cahier » est née en Dalmatie, il n’en reste pas moins que la matrice de cette pièce est essentiellement africaine. Destinée même au continent noir. Le destin des peuples noirs, sur tous les continents, est lié à ce poème en prose. C’est une poésie universelle qui intéresse tout être humain.

 

Vukušić Zorica Maja,
Université de Zagreb, Croatie

« Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, Notes pour l’histoire authentique d’André Gide »

Maria Monnom (1866-1959), épouse du peintre gantois Théodore Van Rysselberghe (1862-1924), connue pour ses Cahiers de la Petite Dame, Notes pour l’histoire authentique d’André Gide, devient, selon Peter Schnyder, une « femme en abyme ». Or, cet abyme n’a rien de l’abyme de la mère de Barthes, qui se faisait « transparente » pour qu’il puisse écrire. La Petite Dame a, par contre, de l’épaisseur – elle est même l’un des rares exemples des « femmes gidiennes » qui en ont. D’où son surnom qu’échappe à Gide un jour : « mon vieux ». Elle le lui « rend » par son talent de portraitiste.

La publication posthume de sa « somme » ne peut pas cacher sa première destinataire, son amie Aline Mayrisch de Saint-Hubert, et le moment de sa naissance, l’année 1918, cruciale pour Gide.

Ce témoignage-miroir-écho semble respecter les règles d’une bonne hygiène amicale : se voulant sans complaisance et sans parti pris, elle veut témoigner de son souci unique de véracité par un ton amical et une écriture dépouillée. Un Eckermann au féminin, qui se détache nettement des groupies, des « poules », dirait Sade, ou des admiratrices telles Dorothy Bussy (sa traductrice) ou Yvonne Davet (sa secrétaire), qui ne lui fait part de ses cahiers que quelques jours avant sa mort.

Or, le projet s’avère problématique dès le début par son intention : vu qu’il ne veut pas se confiner dans la rubrique des curiosités, la Petite Dame veut « éclaircir » l’homme et l’œuvre, faire voir son côté caméléon et sa réflexion en gestation, et le saisir au quotidien. Elle finit par écrire un témoignage qui est reconnu comme complémentaire à l’œuvre et à la figure de l’écrivain ; il en est « humanisé », dirait Schnyder ; il en est aussi « médiatisé ».

Cette « humanisation » passe par le « rabaissement » nécessaire de la figure de l’écrivain, et de l’ambition non littéraire des Cahiers. Refusant l’idolâtrie, le culte de la personnalité et la réification, elle trouve sa joie dans la description amusée et lucide de sa convivialité qui conditionne la structure même des Cahiers. C’est la conversation qui tient ensemble le projet tout entier. Monologue ou discussion, confidences de toute sorte en compagnie de cette voisine de palier au Vaneau (de 1927) – la nature même de ces échanges font voir combien même une telle institution doit à la tradition d’un attachement « honnête », sans soumission ni domination, qui tire sa « véracité » de la distance critique envers Gide et de la distance ironique envers soi-même. Car l’ironie est de mise dans une écriture qui ne naît que de la conversation, de l’incitation, par réaction, et qui est condamnée donc aux répétitions, aux paratextes.

Et cependant, un tel livre cache une hypothèse de base, celle de « l’histoire authentique », qui serait confirmée par la mise en parole du privé et du quotidien « spontané » (Gide ne se sait pas observé), et contribuerait à la désacralisation de l’écrivain et à l’instauration d’un quotidien « légitime ».

Ce témoignage, écrit au jour le jour, actuel, peut-il espérer de transformer le banal en un bon quotidien ? Quelle serait, enfin, la raison d’être de ces cahiers, si ce n’est d’être condamnés à rester un compendium « décoratif » des petits faits et gestes ? Le geste de la Petite Dame, peut-il jamais dire autre chose qu’une représentation tentée par l’idolâtrie de l’artiste qui glisse inévitablement à l’idolâtrie de l’art ? Les Cahiers sont-ils un retour au quotidien sacralisé et ritualisé ?

Quels sont les spécificités de cet « autre portrait », de son regard, de son plaisir au dessin ? Cette question contribue-t-elle à ce « recentrage thématique » invoqué par Schnyder, nécessaire pour suppléer au « manque » structurel et structurant de ce texte ? Est-ce la « faute » à la facture du texte, tissé par conversations, par réaction, ou au portrait ?

Car, c’est l’humble ambition des cahiers de la Petite Dame qui sont sa dernière ruse –

la véracité incontestable de ses propos. Tout le monde s’en sert sans jamais la remettre en question. Car, la Petite Dame se faisait petite, elle ne pourrait jamais… ou quand même ?