Petrak Marta, Pavelin Lešić Bogdanka,
Université de Zagreb, Croatie
« La présence et la métaphorisation des parties du corps bras / main / ruka dans les expressions et locutions en français et en croate »
Le langage fait partie intégrante de la totalité des activités de l’être humain qui est naturellement lié au monde physique dans lequel il se trouve. En effet, le rapport de l’homme au monde est à la fois de l’ordre physique et cognitif. C’est pourquoi l’approche cognitive étudie les procès cognitifs de la structuration du sens dans le langage par le biais des métaphores conceptuelles (cf. Lakoff 1980 ; Croft 2004 ; Langacker 2008).
L’image linguistique du monde, qui varie de langue en langue, véhicule la description du monde dans le langage et dépend en grande partie de la perception de nos sens. C’est pourquoi la connaissance du monde n’est pas une catégorie uniforme et définitive. Outre l’activité sensorielle, celle-ci dépend aussi de la société et de la culture, ainsi que des spécificités de l’acte de communication concret (cf. Šarić 2014 : 12-13).
La présente recherche se propose d’étudier les parties du corps dans les expressions et locutions en français et en croate à partir des corpus frWaC et hrWaC disponibles en ligne. Une recherche préliminaire des corpus a montré que, parmi les parties du corps, ce sont les lexèmes BRAS / MAIN / RUKA qui sont les plus fréquents dans les deux langues observées. C’est pourquoi ces trois lexèmes seulement ont été inclus dans la recherche présentée dans la présente contribution. Outre une comparaison des données statistiques à la base des corpus mentionnés, nous proposons également une analyse sémantico-pragmatique des expressions et locutions comportant les lexèmes BRAS / MAIN / RUKA dans les deux langues.
Selon les données analysées, dans les deux langues les lexèmes BRAS / MAIN / RUKA sont liés dans la plupart des cas aux domaines de force (physique), pouvoir et influence, avec la métaphore conceptuelle dominante : UTILISER SA MAIN (SON BRAS) EST ETRE FORT / VIOLENT (e.g. Dignuti ruku na djevojku nije u redu). Le croate emploie assez fréquemment la métaphore conceptuelle AVOIR DES QUALITÉS PHYSIQUES / MORALES EST AVOIR LES MAINS DOTÉES D’UNE QUALITÉ POSITIVE (e.g. imati zlatne ruke). Alors que le croate lie le lexème RUKA davantage avec le domaine de la proximité physique, le français lie les lexèmes MAIN / BRAS plus au domaine de l’aide, ou bien il les emploie pour désigner l’être humain grâce à la métonymie LE BRAS / LA MAIN POUR L’ETRE HUMAIN (e.g. Les entreprises manquent de bras), ce que le croate ne fait pas selon notre étude du corpus.
Penser et parler se structurent comme une forme d’activité pratique : en maniant des concepts-objets virtuels dans un espace virtuel, comme s’il s’agissait de les prendre, de les tâter, de les toucher avec la main, pour s’en servir dans la vie quotidienne. Rappelons à ce propos le terme d’effet par évocation proposé par Charles Bally (TSF 1936 : 98). Les champs qui sous-tendent les métaphores conceptuelles dans les locutions et expressions étudiées évoquent les situations dont ils découlent. Les expressions et les locutions offrent toujours le « vague sentiment d’une image… une sorte de résidu affectif qui sauve l’image et l’empêche de s’écrouler dans l’abstraction » (Bally TSF 1936 : 194).
Mots-clés : cognitif, métaphore, structuration, locutions, expressions, image, effet par évocation, français, croate
Rendulić Nina, Abouda Lotfi,
Université d’Orléans, France
« Quand faire c’est dire »
Cette étude vise à analyser, dans un corpus oral authentique, une configuration particulière de discours représenté (DR), introduit par une structure comportant le verbe faire (« je suis allée voir les prix j’ai vu les prix et j’ai fait non c’est pas possible »). Bien que relativement fréquente à l’oral, cette configuration n’a pas, à notre connaissance, bénéficié d’études spécifiques. C’est qu’elle ne semble se rencontrer que dans des interactions orales informelles, là où, pour des raisons épistémologiques et techniques, les études sur le DR ont longtemps privilégié des données écrites, ou orales mais plutôt formelles. Le corpus ESLO1, sur lequel s’appuie cette étude, offre en ce sens de nouvelles perspectives : en cours de constitution au LLL2, il fournit d’ores et déjà une grande quantité de données orales transcrites (environ 7 millions de mots) collectées à 40 ans d’intervalle (ESLO1 entre 1968 et 1971, ESLO2 depuis 2010) et offrant une large diversité de données. Le sous-corpus pour cette étude, comportant environ 500 000 mots (40h d’enregistrement), est constitué, à parts égales, d’extraits d’ESLO1 et d’ESLO2, qualitativement comparables, en types d’interaction (conférences, entretiens et repas de famille) et selon le profil des locuteurs (sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle). Extraites au moyen du logiciel de textométrie TXM3, toutes les occurrences de faire ont fait l’objet d’une correction manuelle et d’une annotation permettant d’isoler les occurrences introductrices de DR. Nous proposerons dans cette étude de détailler les données statistiques, en les mettant en perspective avec les métadonnées, afin de vérifier si la fréquence de la configuration est tributaire du genre interactionnel et sensible aux variables des locuteurs, d’examiner son émergence dans une perspective micro-diachronique, avant de préciser sa spécificité pragmatico-interactionnelle par rapport aux DR avec dire.
Rolland-Lozachmeur Ghislaine,
Université de Bretagne Occidentale, France
« L’hétérogénéité du sens dans Les Pensées de Pascal : analyse polyphonique de la polysémie et de la métaphore »
Si elle ne peut ignorer le niveau sémiotique du signe hors emploi, l’analyse du discours s’intéresse de manière privilégiée au niveau sémantique où le mot est en emploi dans un contexte particulier (Benveniste, 1974). L’étude de la dimension qualitative du mot amène à prendre en compte les aspects pluridimensionnels qui s’en dégagent: « Si on considère le domaine de la politique et celui de la production scientifique, on constate que les mots peuvent changer de sens selon les positions tenues par ceux qui les emploient » (Haroche, Henry, Pêcheux, 1971). Bakhtine (Volochinov-1929-1977), lui, met en évidence l’hétérogénéité énonciative où les marques linguistiques enregistrent la présence de « l’autre ». De fait, choisir le mot pour entrer dans les discours, c’est souligner l’omniprésence sociale du « mot ». Bakhtine (1977) pour qui « Le mot est capable d’enregistrer les phases transitoires les plus infimes, les plus éphémères, des changements sociaux » explicite la conviction qu’il a de ce pouvoir:
« Tant il est vrai que le mot se glisse littéralement dans toutes les relations entre individus, dans les rapports de collaboration, dans les relations à base idéologique, dans les rencontres fortuites de la vie quotidienne, dans les relations à caractère politique, etc. Les mots sont tissés d’une multitude de fils idéologiques et servent de trame à toutes les relations sociales dans tous les domaines. »
Aussi l’analyse du discours s’attache-t-elle à étudier l’usage du langage, ancré dans un contexte, par des locuteurs impliqués dans des situations réelles. Elle établit la relation entre le texte et le contexte. Elle est étude du discours tenu sur le monde (Foucault 1971). Le lien étroit entre le monde social et politique et le langage a impulsé une perspective polyphonique (Bakhtine 1929 – Ducrot 1984 – Maingueneau-Charaudeau 2002) dans un sens, détecté parfois intuitivement, où le discours peut mettre en scène des énonciateurs présentant des points de vue différents, pour s’y opposer ou pour y adhérer. Ces traits se répercutent au niveau de la langue dans sa syntaxe et son lexique, par l’intermédiaire des variables linguistiques et notamment par l’étude des discours rapportés, de l’ironie, de la négation polémique (Ducrot 1984). Au plan discursif, cette polyphonie ne va pas sans soulever des questions car employer les mots de l’autre, les répercuter dans son propre discours, c’est accepter de débattre sur le terrain que l’interlocuteur s’est choisi.
C’est dans cette perspective théorique que je propose d’analyser le texte de Pascal, Les Pensées (1670) pour montrer comment, grâce à une écriture métaphorique, forte et éloquente, l’auteur occupe différents terrains d’analyse, philosophique et théologique et construit un interlocuteur, l’homme, qu’il veut convaincre de sa fragilité; tant sa propension est forte à imposer sa pensée.
Samardžija-Grek Tatjana,
Université de Belgrade, Serbie
« L’adjectif déverbal dans les textes scientifiques en français »
L’objectif que nous nous proposons dans ce travail est l’étude des adjectifs (et, en moindre mesure, des substantifs) déverbaux français (microbes infectants, réactions immunisantes ; un/e composant/e, une variante) caractérisant le Français sur Objectifs Scientifiques (FOSc) en tant que sous-catégorie du Français sur Objectifs Spécifiques.
Nous ne nous situerons pas au pôle didactique du FOSc, mais à cet autre pôle qui vise non pas l’enseignement du FOSc, mais ses propriétés linguistiques. Autrement dit, c’est le discours scientifique même, et notamment celui des articles scientifiques, qui est le contexte dans lequel nous étudions les propriétés sémantiques (classes aspectuelles de l’infinitif correspondant, adjectivation comme réduction du sens verbal) et syntaxiques (épithète, attribut, apposition) des adjectifs déverbaux dans les articles relevant des sciences sociales et naturelles. Seront pris en compte les articles traitant médecine, pharmacie, psychologie, sport, sociologie, histoire, sciences politiques, droit, musique, linguistique, littérature …
Nous visons à vérifier notre hypothèse selon laquelle les adjectifs déverbaux résultent de la métamorphose du verbe en adjectif à deux temps. Nous postulons également que la fréquence et la multiplication des adjectifs déverbaux en FOSc correspondent à la transformation, propre au texte scientifique, des faits isolés en lois générales et stables.
Saulan Dubravka,
Université de Bourgogne, France
« Identité du (simulacre de) récepteur en discours publicitaires »
Dans l’histoire de la publicité, le concept du (simulacre de) récepteur a connu une évolution bicéphale : évolution syntaxique et évolution de la personne (évolution sémantico-pragmatique). Pour mieux les déterminer, il nous semble indispensable de prendre en compte les trois éléments (et les trois notions) du processus de la communication publicitaire : 1) (simulacre d’) émetteur ou je / nous, 2) message ou produit, et 3) (simulacre de) récepteur ou tu / vous.
Dans ce travail, nous tenterons d’éclairer les concepts-clés des deux évolutions susmentionnées et d’effectuer une analyse du discours publicitaire. Ce faisant, nous pourrions examiner les structures discursives et les variations syntaxiques qui en proviennent.
D’un côté, nous remarquons que l’évolution syntaxique du (simulacre de) récepteur peut être analysée de deux manières différentes, selon qu’il s’agit d’une phrase impérative (une suggestion, incitant à agir / à acheter) ou d’une phrase déclarative (assertion, identification avec l’action (non)accomplie).
De l’autre côté, l’évolution de la personne résulte par trois formes du sujet : 1) produit, 2) tu ou vous, et 3) je ou nous. C’est dans cette optique que les variations syntaxiques reflètent la complexité discursive publicitaire. Le (simulacre de) récepteur peut facilement adopter l’aspect formel de l’émetteur et faciliter ainsi l’identification à l’idée (à l’objet) du discours en question. Nous tenterons donc de saisir les éléments qui permettent un tel jeu de rôles et qui nous aident à mieux déterminer les structures discursives sous-jacentes.