Recueil des résumés – Section Littérature

Denis VIENNET

Université de Metz

« Affectivité et subjectivité »

C’est à l’époque de la « crise » contemporaine du sujet qu’il importe d’ancrer ce questionnement. Quelque nom qu’on lui donne (malaise, asthénie, fatigue d’être soi, dépression), le « soi » est désormais frappé par un malêtre, qui est une forme de crainte, d’incapacité à se projeter vers un avenir espéré comme meilleur. Ce malêtre serait le revers exact de la médaille des nouveaux impératifs du système techno-économique, qui tend à faire de l’humain et de la connaissance un produit échangeable sur un marché.

Or, ce qu’il s’agirait d’étudier à l’occasion de ce colloque est : comment ce qui est ciblé par ce système aujourd’hui est un « quelque chose » à l’intérieur de l’humain, sa part ou son « reste d’enfance », l’affectivité, inarticulée, excédant le langage articulé, la « communication ». Comment comprendre et entendre cette « chose » « inhumaine » pourtant au-dedans de l’humain ? Et qu’en est-il vraiment dans un monde où le management entrepreneurial, avec ses ordres de calcul et de programmation, de mobilisation générale, vise à pénétrer jusqu’à ce qui en l’humain est à la fois le plus intime et le plus étranger.

Nous interrogerons cette menace portant sur la constitution du soi (et de ce qui en soi est tout autre que soi), et poserons la question cruciale de la résistance, artistique, « littéraire », aujourd’hui.




Frano VRANČIĆ

Université de Zadar

La dualité dans L’Après-midi d’un faune de Stéphane Mallarmé

Lorsqu’on évoque la figure du chèvre-pied, un poème du XIXe siècle vient d’emblée à l’esprit du lecteur : L’Après-midi d’un faune. C’est une figure mythologique qui possède des pieds de chèvre, ainsi que de petites cornes sur le front, mais dont le torse et la tête sont d’un être humain. Cependant la dualité de son être est plus suptile à percevoir sur un plan spirituel. Le faune est ecartelé entre ses pulsions animales, celles de l’érotisme, qui vont le pousser à se lancer à la poursuite des nymphes, celles qui l’enchaînent à la matière et ses aspirations humaines, celles qui font de lui un être possédant une âme, attiré par l’Idéal, par l’Art, dont sa flûte est le symbole. Tout cela fait de lui un double potentiel du poète, son porte-parole et surtout une figure de l’homme déchiré entre des pôles opposés, entre rêve et réalité, entre Art et érotisme, entre âme et matière. L’homme est un être partagé, esprit et corps luttent dans son être pour la préséance. On comprend dès lors les possibilités d’identification infinies qui peuvent se développer autour de la figure hybride et double du faune, figure qui a en outre le mérite pour l’homme d’offrir une représentation symbolique qu’il perçoit en lui. Le faune permet la visualisation d’une tension qui pour l’homme est intérieure. De plus, le faune choisi par Mallarmé concilie les contraires, quels qu’ils soient. Il devient pour l’homme une figure rassurante, apaisante, qui rend son existence déchirée supportable.




Maja ZORICA VUKUŠIĆ

Université de Zagreb, Faculté de lettres et de philosophie

Le deuil de Barthes – De la rhétorique et la mort

Le Journal de deuil de Barthes essaie de dire le deuil provoqué par la disparition de la mère, qui n’y est pas seulement un concept métonymique – elle est la génératrice du discours. Le narrateur, l’endeuillé, risque tout – la tentation de la rhétorique, omniprésente, plane sur le texte qui pourrait néanmoins se lire à la lumière de la formule de Blanchot, « la littérature et le droit à la mort » (Marty).

Tout discours sur la Mère semble nécessairement relever d’un désir de monumentalisation (Gide, Saint-Exupéry, Cohen) ou de son contraire (Genet, Bataille). L’habit bleu de Werther semble fait sur mesure pour Barthes, mais, il s`agit ici de « l’hypothèse d’un livre désiré» par l`auteur (Léger).

Dans les dernières pages de sa Lettre au père (qu’analyse Derrida dans Donner la mort), Kafka écrit ce qu’il pense que son père aurait voulu, dû, en tout cas aurait pu lui adresser. Dans La Chambre claire, Barthes accomplit un acte de poétisation extrême, orphique, pour étreindre l’inaliénable essence de la mère : « ça a été » (La Photographie du Jardin d`Hiver). Nous sommes bien dans le roman, non pas au sens de l’imagination ou du romanesque, mais au sens du réel comme objet de désir, que l’on fait advenir au travers des expériences profanes, quotidiennes, communes (Leçon). C’est le pouvoir de compassion du Roman (Longtemps, je me suis couché de bonne heure) dont le modèle était le dialogue de Bolkonski avec sa fille Marie (Guerre et paix).

Enfin, qu’ai-je droit d’écrire à propos de la Mère ? Antimoderne depuis longtemps (Baudelaire, Rimbaud), elle est évidemment le grand objet (figure, ombre, spectre ?) impossible de toute littérature (Saint Augustin). Barthes, grand lecteur de Sade, celui pour qui le Neutre du plaisir est « la forme la plus perverse du démoniaque » (Le Plaisir du texte), refuse le renversement pervers de la Mère comme accès moderne à sa sainteté (Baudelaire, Genet, Bataille). Tout en rejoignant Proust, Barthes affirme, en suivant Stendhal, qu’On échoue toujours à parler de ce qu’on aime. Et cet échec fait toute la différence.