Ida RAFFAELLI, Jurica POLANČEC
Université de Zagreb, Croatie
Les constructions transitives en français et en croate: l’exemple des verbes de mouvement
La présente contribution propose une étude contrastive français-croate, adossée à un modèle interprétatif syntaxique et en même temps sémantique, partant de l’idée que la transitivité n’est pas uniquement un phénomène grammatical (syntaxique), mais également un phénomène sémantique et déterminé par le discours (Hopper et Thompson, 1980 ; Desclés, 1990, van Valin et La Polla, 1997; Givón, 1984, François, 2003, Goldberg, 2005). La position théorique qui lie les linguistes cités est fondée sur le fait qu’ils déterminent la transitivité autant qu’une catégorie graduelle. C’est ainsi que Goldberg (2005:118) propose la distinction des langues selon la manière et la possibilité d’étendre des constructions transitives des exemples typiques aux exemples moins typiques. Quoique partant des positions théoriques différentes, les linguistes s’accordent sur l’existence de la construction transitive dite typique sur le plan sémantique [proto-Acteur proto-Patient] que nous reprenons à Goldberg (2005: 117). La construction transitive typique envisage l’existence de l’Acteur dont l’activité intentionnelle est orientée vers le Patient qui subit l’action effectuée par l’Acteur et représente le résultat de cette action. Ainsi, les énoncés tels que Marc écrit une lettre ou Pierre a cassé la fenêtre correspondent à la construction transitive dite typique où le sujet et l’objet direct sont conformes aux rôles sémantiques de proto-Agent et proto-Patient.
L’analyse contrastive entre les deux langues se penche sur les constructions transitives des verbes de mouvement. Le français connaît des verbes de mouvement qui même dans leur sens prototypique (désignant le mouvement de l’Acteur) apparaissent dans des constructions transitives. Tels sont entre autres: descendre, monter, courir, parcourir, franchir, traverser, passer. Ce sont des verbes dont l’objet syntaxique est très éloigné du rôle du proto-Patient. Ainsi, dans les énoncés tels que : Marie descend/monte les escaliers, Pierre court les rues, Jacques traverse la rivière l’objet direct syntaxique désigne le Parcours dont le passage est complètement fini, plutôt conçu comme Point du trajet, désignant l’objet entièrement affecté par l’action de l’Acteur : [proto-Acteur aller’ Parcours (Point)]. A notre avis il faut distinguer cette classe verbale de la classe des verbes que constituent les verbes tels que sortir ou entrer. Ces deux verbes n’apparaissent pas dans la construction transitive proposée [proto-Acteur aller’ Parcours (Point)] : *Jean sort/entre la maison. La raison pour laquelle cette construction transitive est impossible est purement sémantique. Les deux verbes mettent en accent dans leur sémantisme le Cible du trajet conçu comme Conteneur vers lequel le trajet est orienté et pas le Parcours traversé conçu comme Point du trajet. Par contre, les deux classes verbales partagent l’existence de la construction transitive [proto-Acteur ‘causer’ [changement de location] Patient (affecté)] réalisée dans les énoncés tels que : Jacques descends la valise du grenier, Pierre sort la voiture du garage etc. Dans ces énoncés, l’objet direct est affecté par l’action de l’Acteur subissant le changement de location. Il est plus proche du proto-Patient que les objets directs précédents.
Les énoncés français mentionnés renvoient à des énoncés croates qui emploient des verbes différents dans de telles constructions et suscite ainsi des constatations intéressantes concernant la conception du mouvement dans l’espace. Ainsi, l’énoncé Marie descend/ monte les escaliers ne renvoie à aucun énoncé croate qui pourrait être conçu comme équivalent. Quoique cet énoncé soit souvent traduit par l’énoncé tel que Marija se spušta/penje stubama, la conception du mouvement dans l’espace est différente. L’emploi croate de l’instrumental renvoie simultanément au Moyen du mouvement et au trajet directionnel (voir Belaj, 2008). Donc, l’énoncé croate à construction intransitive n’équivaut pas l’énoncé français à construction transitive. Les énoncés croate aux verbes spuštati se/penjati se correspondent plutôt aux énoncés Marie descend/monte par les escaliers puisque la préposition par renvoie au Moyen par lequel le trajet se déroule. C’est la raison pour laquelle un énoncé tel que Marie descend/monte par l’ascenseur est syntaxiquement et sémantiquement acceptable, tandis que *Marie descend/monte l’ascenseur ne l’est pas puisque ‘l’ascenseur’ est conçu uniquement comme Moyen et jamais comme Parcours.
Ainsi, nous proposons deux classes de verbes français de mouvement à la construction transitive. La première classe est constituée des verbes de mouvement à l’opérateur ‘causer’ tels que sortir, descendre, monter, entrer. La deuxième classe est composée des verbes uniquement à l’objet direct conçu comme Parcours (Point) du trajet. Comme nous le démontrerons, les verbes croates qui fonctionnent comme équivalents diffèrent en ce qui concerne les verbes dans les deux classes.
Nina RENDULIĆ
Université d’Orléans
« Et puis je me suis dit tu as fait un choix bah faut l’assumer » : le discours rapporté auto-adressé entre le faux monologue et l’interaction effective
Cette communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur le discours rapporté(DR) – phénomène occupant une place importante dans les recherches linguistiques actuelles – dans les interactions orales en français contemporain1. Parmi les formes du DR, qui ne se limite pas à des rapports des énoncés antérieurs des tierces personnes, cette étude se propose d’analyser le DR auto-adressé à la 1ère personne du singulier (je+me+/dire/+(que)+X) dont le fonctionnement en tant que marque de subjectivité dans les interactions orales mérite qu’on s’y attarde.
1 L’étude s’appuie sur le corpus d’entretiens ESLO (Etude sociolinguistique à Orléans), l’un des plus grands corpus du français oral contemporain, en cours de constitution et dont la diffusion est prévue par le Laboratoire ligérien de linguistique de l’Université d’Orléans dans les mois à venir
Pour ce faire, on commencera par examiner les marques formelles du DR auto-adressé, en particulier les temps verbaux, les pronoms personnels et le contexte syntaxique. Cette première analyse permettra de relever les stratégies discursives avancées par des DR auto-adressés.
Il est évident qu’un DR auto-adressé est véritablement adressé aux interlocuteurs dans la situation de communication. Cependant, le locuteur effectif se voit accorder, dans la séquence d’introduction (je+me+/dire/), le double rôle du locuteur(L) et de l’interlocuteur(I), se confondant ainsi dans un faux monologue intérieur. Vu que la confusion L-I ne va pas de soi, il importe de savoir comment l’interlocuteur effectif réagit à ces DR auto-adressés pour enchaîner et (co-)construire la conversation. Le type de stratégie discursive mis en place par le DR auto-adressé est en lien étroit avec le rôle que L laisse à I effectif, et qui diffère peu du simple témoin ou juge. Qu’il s’agisse de la mise en scène d’une parole actuelle ou de l’actualisation d’un récit, les DR auto-adressés, ces « faux monologues intérieurs », révèlent une stratégie d’implication subjective du locuteur, qui est d’autant plus marquée que le rôle de l’interlocuteur est important.
Sirine SAADANI
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, Tunisie
Etude énonciative des adjectifs d’identité
Cette proposition tente d’étudier, dans un premier temps, l’aspect objectif vs subjectif du rapport comparatif établi par les adjectifs pareil, semblable, comparable et analogue. L’approche énonciative (Cf. Orecchioni (1980), Cervoni (1987), Nølke (1993)) montre que semblable, pareil, similaire, analogue et comparable peuvent être modalisés par des adverbes appréciatifs et sont introduits par des verbes qui expriment le jugement du locuteur. D’autres indices textuels tels que l’intensification montrent que ce genre de rapport comparatif instauré par les adjectifs d’identité est perçu à travers le regard du locuteur :
(1) Il était tout déconcerté de la trouver si peu semblable à la Dora qui flottait devant ses yeux. (Vialatte A, Les Fruits du Congo, 1951, p. 206).
Nous étudions, dans un deuxième temps, les propriétés énonciatives des adjectifs d’identité en emploi anaphorique. L’examen du corpus montre que les adjectifs pareil, semblable, comparable et analogue permettent une reprise subjective de l’antécédent. Cette hypothèse est vérifiée à travers l’étude de la valeur affective et intensive que peuvent prendre ces adjectifs en emploi anaphorique :
(2) Je suis surpris qu’un pareil malheur ait échappé à la pénétration de votre majesté. [autant de malheur]. (Cottin, (1805), Mathilde, Frantext)
(3) Enlevez cette vision, directeur, enlevez ce tableau regrettable ! Nous n’avons pas payé notre place pour voir semblable chose ! [une chose aussi horrible]. (Prévert, J. (1951), Spectacle, p. 302, Frantext)