Recueil des résumés ( Pdf 700 KB )
Séverine ADAM
Université Paris-Sorbonne, France
« Je crois qu’il est important de le souligner. » Formes et fonctions du cadrage subjectif explicite des énoncés en français – une spécificité par rapport à l’allemand ?
Notre exposé mettra en lumière un procédé que nous voudrions appeler le cadrage subjectif des énoncés, procédé qui donne lieu à un type aussi fréquent que varié d’ouvertures d’énoncés, et qui se manifeste entre nombre autres à travers des structures en apparence aussi hétérogènes que Il est impératif de… ou Heureusement que… ou encore Je (ne) crois (pas) que… Nous reviendrons dans la partie liminaire de notre contribution sur le choix de l’expression cadrage subjectif, que nous définirons en la distinguant quelque peu du concept de cadrage énonciatif.
Si ce phénomène retient notre attention, c’est tout d’abord précisément en raison des multiples formes qu’il est susceptible de prendre et dont nous dresserons un inventaire, sinon exhaustif, du moins révélateur de la productivité et de la polyvalence du procédé, qui donne même parfois lieu à des structures pragmaticalisées. Nous nous pencherons ensuite sur les fonctions de ce cadrage subjectif explicite, qui peut certes être mis en œuvre à des fins purement informatives, mais sert le plus souvent des objectifs pragmatiques ou rhétoriques. Nous montrerons sur la base d’une comparaison avec l’allemand que ce procédé, par sa fréquence et la variété des formes qui en découlent, peut être considéré comme caractéristique du français ; il illustre à lui seul quatre tendances particulièrement marquées de cette langue, qui la distinguent d’idiomes tels que l’allemand: le renvoi explicite à la source énonciative, la prédilection pour les tours verbaux, la tendance intégrative et la linéarité fondamentale du processus de décodage.
Satenik BAGDASAROVA
Université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis, École Doctorale «Pratiques et théories du sens», France
Bilinguisme et dédoublement du sujet
Cette proposition de communication a pour objectif d’aborder la question de l’activité du sujet dans le langage à partir de la question du bilinguisme. Nous prendrons pour point de départ l’ouvrage de Claude Esteban, Le partage des mots, publié en 1990 aux Éditions Gallimard. L’intérêt de cet essai critique, écrit par un écrivain à la fois poète et un traducteur et élevé dès l’enfance dans un milieu franco-espagnol, réside dans le questionnement porté sur l’aspect mental du phénomène. S’éloignant d’emblée des positions pragmatiques, pour lesquelles la maîtrise native de deux langues ne peut être qu’un atout, Esteban pense le bilinguisme en termes de dichotomie intellectuelle, de dédoublement du sujet. Ce qui résulte de la divergence des idiomes, véhiculant chacun son mode interprétatif du réel.
L’analyse du travail d’Esteban nous amènera à nous interroger sur les manières possibles de théorisation du bilinguisme. Ce qui revient à questionner les différentes conceptions du langage : si la dimension mentale du bilinguisme semble être difficilement abordable à partir des approches métaphysiques du langage, jusqu’à faire vaciller le principe même de leur fonctionnement – l’adéquation transparente des systèmes de signes au réel -, elle se problématise dans le champ de la pensée historique du langage. Il s’agira tout particulièrement d’étudier la lignée Humboldt – Saussure – Benveniste, en montrant en quoi elle constitue un corpus linguistique de base pour toute approche anthropologique du bilinguisme.
Samir BAJRIĆ
Université de Bourgogne, France
Dubravka SAULAN
Université Paris-Sorbonne (Paris IV), France
Insultes et subjectivité : sémantique et sémiologie
Partant de l’hypothèse que le langage est une possibilité de la subjectivité (Benveniste), voire la possibilité du sujet parlant de se positionner en tant que sujet, nous aborderons ici l’analyse du champ des insultes d’un point de vue sémiologique et/ou sémantique en comparant leurs formes et contenus en français et en croate. Si le langage est un mode d’être dans l’être (Ricœur), c’est qu’un premier degré de subjectivité relève du fait qu’une langue sans expression de la personne ne se conçoit pas (Benveniste). Force est de constater que le phénomène de la subjectivité ne s’achève pas à ce point précis. Son deuxième degré renvoie à la subjectivité affective organisant le discours en termes de jugement de valeur, d’adhésion ou de rejet de la part du sujet (Kerbrat-Orrechioni). C’est précisément à ce niveau que nous analyserons les insultes et/ou les injures, éléments des montées en tension verbalisées. Ces dernières étant linguistiquement identifiables dans leur forme, il nous sera indispensable de les traiter d’un point de vue sémiologique, en tant que signes (linguistiques), mais également dans le prisme de la cognition afin de mieux comprendre comment elles servent à viser l’autre à travers une subjectivité partagée.
En comparant, à titre d’exemple, les énoncés Tu m’emmerdes ! et Je t’emmerde !, nous constaterons que bien qu’il soit cantonné dans le domaine du « territoire du moi » (Goffman), l’écart séparant les deux énoncés oscille, si ténu soit-il, entre deux valeurs interprétatives que l’on ne saurait mettre sur le même plan axiologique. Un constat similaire sera observé dans le corpus offert par les insultes en croate. Une élasticité axiologique produit des effets interprétatifs nuancés : Jebem ti mater ! (litt. « Je baise ta mère ! » ; équivalence axiologique de « Je t’emmerde ») et *Jebeš mi mater ! (litt. « Tu baises ma mère ! »). Le second énoncé, pourtant syntaxiquement inattaquable, s’avère non seulement parfaitement incongru en sémantique discursive, mais aussi axiologiquement non-interprétable. En effet, et pour reprendre les termes de Jakobson, le code ne prévoit pas de combinatoire interprétative allant du destinataire au destinateur. En revanche, une expansion phrastique redonne à l’insulte son acceptabilité : Jebeš mi mater ako ti lažem ! (litt. « Tu baises ma mère si je te mens ! »). Entre 1) Jebem ti mater ! ; 2) *Jebeš mi mater ! et 3) Jebeš mi mater ako ti lažem ! il n’y a qu’une différence axiologique. Le premier est axiologiquement très marqué. Le deuxième n’est pas attesté, dans la mesure où il n’est pas injurieux. Enfin, le troisième est axiologiquement atténué, étant donné qu’il gravite entre « injure personnelle » et « insulte rituelle » (Adam).
Ainsi les insultes deviennent-elles des axiologiques infiniment variés et continuellement assujettis à l’ensemble des critères qui déterminent la communication (pragmatiques, sémantiques, sémiologiques et autres.), tous relevant de la subjectivité (langagière).