Recueil des résumés – Section Littérature

Andrea HYNYNEN

Université d’Åbo Akademi (Finlande) / Université Paris 13

Suspense et chocs émotifs comme procédés narratifs féministes dans J’ai regardé le diable en face de Maud Tabachnik

Ma communication explorera les diverses techniques narratives dont use Maud Tabachnik dans ses romans à suspense (thrillers) pour transmettre une idéologie féministe. Franck Thilliez (2012) définit le thriller comme un « genre de polar reposant essentiellement sur l’action et le stress qu’il suscite chez son lecteur ». Aussi le roman à suspense diffère-t-il des autres genres policiers classiques (Menegaldo & Petit 2010), notamment du roman noir et du roman à énigme, même si la classification tripartite établie par Todorov (1971) peut paraître datée vu l’hybridation et la dissolution génériques actuelles. Toujours est-il que le choc émotif, la surprise et la tension sont les éléments clés du thriller, qui est moins axé sur le détective et l’enquête que sur la victime ou la future victime. Certes, il arrive souvent que celle-ci devienne enquêtrice pour se protéger. En raison du côté émotif fort du thriller, certains le regardent comme une sous-catégorie plutôt « féminine » du roman policier, inférieure au roman noir et au roman à énigme. Évidemment, il y a aujourd’hui de nombreux auteurs de thriller masculins, mais il est vrai que le thriller est devenu un lieu privilégié pour des auteurs femmes s’efforçant de briser les stéréotypes et traditions machistes du genre policier. Cette tendance est exemplifié par J’ai regardé le diable en face de Maud Tabachnik, qui y dénonce les féminicides notoires de Ciudad Juarez. Ce texte devient une critique sévère de la violence masculine grâce à l’emploi d’une femme enquêtrice, la focalisation sur la victime et sa souffrance extrême ainsi que l’absence d’un dénouement rassurant qui rétablisse l’ordre.




Dijana KAPETANOVIĆ-LJUBAS

Université de Sarajevo, Faculté des Lettres

Les manifestations subjectives de l’auto-conscience auctoriale dans des prologues de récits médiévaux en vers

Dans la structure du texte médiéval versifié, le prologue et l’épilogue représentent des endroits particulièrement propices à la transgression de l’anonymat auctorial. En effet, le narrateur (extra)diégétique d’un récit médiéval en vers est censé y afficher sa présence. L’opinion et l’affectivité de l’auteur se manifestent par, d’un coté, divers marqueurs discursifs de la subjectivité que lui-même a consignés à l’écrit, et de l’autre coté, par tout le graphisme textuel que l’éditeur critique moderne doit restituer avant de porter le texte à son état lisible.

Notre réflexion s’articulera autour de deux axes principaux.

Nous nous interrogerons sur la façon dont l’architecture des prologues conditionne l’expression du „je“ et du „nous“ subjectif de l’auteur-narrateur. Nous verrons comment l’octosyllabe, vers typique du récit médiéval, peut se révéler comme étant un facteur de contrainte ou de motivation dans l’expression des marqueurs de la subjectivité.

Nous allons également démontrer dans quelle mesure le choix, la fréquence et surtout l’agencement de marqueurs discursifs de l’affectivité et de la subjectivité de l’auteur ont un impact sur le lecteur et sur le reste du récit à narrer. De même, notre analyse s’interrogera sur le passage du „je“ au pronom „nous“, fondateur d’une sorte de l’alliance entre l’auteur et le public ciblé.

Notre étude sera ainsi amenée à repérer et à éclaircir différentes modalités de l’émergence d’une auto-conscience auctoriale (propre à la subjectivité littéraire) prenant appui dans les œuvres de Marie de France et de Chrétien de Troyes.




Koščec Marinko

Université de Zagreb, Faculté de philosophie et de lettres de Zagreb

Le sujet mal enfourné : la dissolution comme principe générateur
dans Univers, univers de Régis Jauffret

S’ouvrant sur le portrait d’une bourgeoise qui attend le retour de son mari devant le four où un gigot est en train de rôtir, ce livre laisse deviner les prémices d’un roman mimétique, voué à la constitution d’un champ sémantique cohérent, axé sur les destins interconnectés de quelques personnages. Or, à peine introduite, l’héroïne déserte son existence pour se glisser dans une autre, qu’elle abandonne aussitôt et ainsi de suite ; le lecteur est aspiré dans un tourbillon d’identités et d’histoires potentielles. Renonçant à toute élaboration ou approfondissement, le récit étale des esquisses, dont l’accumulation produit un effet de déréalisation. Cette étude montrera qu’Univers, univers est un dispositif complexe de sabotage des conventions littéraires ; le personnage est atomisé, la subjectivité est substituée par une panoptique, la logique narrative est démantelée par le refus de trier dans la virtualité, d’actualiser une variation aux dépens des autres. L’illusion romanesque est brisée dès l’incipit, où le vous du lecteur entre en scène et devient interchangeable avec les innombrables avatars du personnage principal, un véritable «homme-lette « lacanien, entité «océanique» (selon Barthes), instance protéiforme qui reste creuse malgré sa mutation permanente. Le résultat est une saturation intolérable, un mouvement circulaire et obsessionnel de ce récit qui n’avance pas bien qu’il semble propulsé par la volonté d’épuiser le monde. Le récit semble receler une interrogation de notre conception de la personne ; cet espace psychologique et symbolique que l’on perçoit normalement comme unique, univoque, doté de contours plus ou moins stables, devient ici une infinité de possibles, une danse de signifiants sans signifié transcendantal, sans principe fédérateur. Mille romans dans un seul, Univers, univers est un livre impossible, à la limite de la lisibilité. Cette étude montrera qu’il est aussi une méditation sur l’interpénétration du romanesque et de l’existence dite réelle, qui ne serait que l’une des possibilités imaginables, toutes équivalentes.